Me Canini nous parle de son
métier d'avocat tutelle
_Peut-être
vous souvenez-vous de la réunion que l'association de Défense des
Victimes des Tutelles (A.D.V.T) avait organisée le 18
avril dernier autour du thème des avocats Tutelle.
>
_A
l'occasion de cette réunion j'ai eu des échanges très
fructueux avec plusieurs avocats spécialisés dans le domaine
tutélaire .
_Me
Canini un des avocats tutelle les plus réputés, n'a pu être
présente à ette réunion qui se tenait à Paris, son cabinet
étant à Toulouse mais elle m'avait accordé un long entretien
téléphonique.
_J'avais
fait parvenir à Me Canini un petit rapport sur la réunion/avocats
du 18 avril et en retour cette avocate a bien voulu m'envoyer un
texte très intéressant dans lequel elle parle de son expérience
d'avocat tutelle.
_Me
Canini m'a autorisée à reproduire ce texte sur le blog de
l'association et je l'en remercie .
>
« Aussi,
répondant à votre demande, je vous livrerai quelques réflexions
issues de mon expérience
que je me permettrai de formuler directement - en
couleur bleue -
dans votre compte-rendu.
_
Ainsi que vous le savez mieux que moi, très peu d'avocats sont
vraiment spécialisés dans la tutelle. D'après mes constatations la
plupart de temps ils assistent le protégé ( ou dit protégé ) lors
d'une mise sous tutelle ou pour une demande de mainlevée.
Pour
ce qui me concerne, j’interviens également fréquemment en cas de
dysfonctionnement des mesures de protection : abus des
organes de la tutelle et/ou conflits familiaux délétères pour le
majeur protégé.
Dans
tous les cas lorsque la mesure de protection est vécue comme « un
enfer », « une privation exorbitante des droits et
libertés », « une prison », « une
sanction », voire « une punition » pour la
personne protégée et les aidants familiaux.
Ces
termes auxquels s’ajoutent « abus de pouvoir » et
« violences psychologiques » « brimades »
sont récurrents et reviennent quasi
systématiquement dans la bouche de mes clients
qui expriment des
souffrances extrêmes.
Il
est inacceptable que des personnes sous « protection
juridique » me contactent désespérées, en pleurs, faute de
réponse du curateur à leurs demandes et vivent dans des conditions
indignes.
C’est
pourquoi, je suis fréquemment amenée à solliciter le
dessaisissement des professionnels en place lorsque la mesure dérive
et je l’obtiens.
J’ai
pleinement conscience qu’il s’agit d’un métier difficile et
que la grande majorité des professionnels exercent leur mandat avec
compétence et humanisme.
D’ailleurs,
à l’occasion des formations que j’ai dispensées pendant de
nombreuses années depuis la réforme de 2007 dans le cadre de la
certification professionnelle des MJPM, puis à l’occasion des
sessions de jury auxquelles je participe encore aujourd’hui, j’ai
eu l’occasion de rencontrer d’excellents professionnels.
Les
dysfonctionnements ne proviennent que d’une minorité qui,
rapportée au million de mesures, finit par compter.
J’interviens
aussi pour défendre le maintien d’un proche en qualité de
curateur ou tuteur dans le cas où il existerait un conflit
familial (ex. : fratrie divisée).
Enfin,
je suis souvent amenée à défendre les choix de vie des personnes
protégées (lieu de résidence, retour à domicile, relations
personnelles, mariage, opposition du MJPM et Juge, fixation du cadre
d’éventuelles visites en cas de désaccord parents d’un enfant
majeur handicapé, parents âgés et famille recomposée ..).
_
L'assistance obligatoire d'un avocat lors de la mise sous tutelle ne
leur paraît pas une mesure indispensable dans la mesure où dans la
plupart des cas les personnes ont à peine conscience de la mesure,
et d'ailleurs elles ont le droit de prendre un avocat comme indiqué
sur les convocations.
Dans
la pratique, les personnes à protéger ne sont pas défendues lors
de l’ouverture d’une mesure.
Les
effets juridiques du certificat médical circonstancié obtenu sur
réquisition du procureur de la République vont bien au-delà de
l’effet anxiogène sur les personnes fragilisées qui ignorent
l’origine de la requête.
En
effet, lorsque le certificat médical circonstancié est établi, il
est directement transmis au procureur de la République qui saisit
alors le Juge des tutelles d’une requête en ouverture de mesure de
protection juridique et ce, à l’insu de l’intéressé.
Le
plus souvent, cette requête – non contradictoire –
aboutit à l’ouverture d’une sauvegarde de justice avec
désignation d’un mandataire spécial ayant pour mission de
percevoir les ressources du majeur protégé et recevoir son courrier
(par le biais d’un transfert de courrier postal).
Dans
le meilleur des cas :
-
Le majeur protégé est contacté par le mandataire judiciaire à la
protection des majeurs (MJPM) qui l’informe de sa désignation,
soit par courrier, soit au cours d’un rendez-vous pendant lequel il
lui réclame et/ou
confisque d’autorité, tous les moyens de paiement (carte bancaire
et chéquier).
Dans
le pire des cas :
-
Le majeur protégé apprend l’existence de la sauvegarde de justice
par sa banque qui l’informe du blocage des comptes et ce, avant
même d’avoir été contacté par le MJPM.
ou
-
Le majeur protégé reçoit une notification par lettre recommandée.
Inutile
de préciser que ces procédés relèvent d’une extrême violence
déclenchant chez la personne concernée fragilisée :
incompréhension, panique, révolte, voire détresse pouvant aller
jusqu’au suicide (je l’ai malheureusement déjà rencontré).
Jusqu’à
ce stade et en toute légalité :
le principe du contradictoire n’est
pas respecté et la personne « dite
protégée » ignore tout sur l’origine de la mesure, elle n’a
pas eu connaissance du contenu du certificat médical, ni du dossier,
elle ignore l’identité du requérant et pire encore, elle n’est
pas autorisée à contester
l’ouverture de la mesure de sauvegarde de justice (l’appel
ne peut porter que sur le choix du mandataire et/ou le contenu du
mandat).
Elle
n’a d’ailleurs encore jamais rencontré le Juge des tutelles et
pourtant un « tiers » qu’elle qualifie d’étranger est
habilité à bloquer ses comptes et exiger la remise des chéquiers
et cartes bancaires.
Dans
tous les cas, la réaction première est de s’interroger sur ce
qu’elle a fait de « mal » pour mériter une telle
« punition » !
La
personne vulnérable étant dans le déni et parfois, sans copie de
l’ordonnance de sauvegarde de justice, elle ignore comment se
défendre.
Il
s’en suit un blocage qui se traduit par un manque de confiance
vis-à-vis du professionnel dès le début de la mesure. Il est
ensuite extrêmement difficile de rétablir cette confiance
indispensable à l’exercice serein de la mesure.
_
Les relations avec le JT sont parfois tendues...
Oui,
c’est un constat avec certains juges seulement. Leur rôle n’est
pas toujours aisé, par manque de temps et de moyens.
Cela
nuit bien évidemment à l’exercice serein de la mesure au
préjudice du majeur protégé qui se sent à nouveau victime (sans
compter le coût de sa défense qui, en raison des oppositions
rencontrées, augmente inévitablement).
_
Aucun de vos confrères ne paraît ému par la nouvelle loi de 2019
qui prévoit que les contrôles ne seront plus exercés ni par le
Juge ni par le greffier mais par des professionnels du droit,
avocats, notaires etc.. ( ce n'est pas encore très clairement
défini)_ -Il se pourrait même que les tuteurs d'auto contrôle
entre eux si un ordre des Mandataires Judiciaires est créé comme
cela est envisagé m'a-t-on dit.
L’accès
aux comptes n’est aujourd’hui pas transparent, même pour les
obligés alimentaires c’est-à-dire bien souvent les enfants ;
c’est navrant et cela entretient un
climat de suspicion également délétère pour la personne protégée.
Après
le décès, des personnes protégés, les ayants-droit ont beaucoup
de difficultés à obtenir le dossier de leur parent placé sous
tutelle (tant sur le plan de la protection des biens que de la
personne).
Il
est extrêmement compliqué de contrôler à postériori la gestion
et les diligences accomplies et du vivant des personnes protégées,
les organes de la tutelle font un blocage et/ou rétention
que je suis parfois amenée à
combattre.
_
J'ai cru m'apercevoir que beaucoup de vos confrères ne savent pas
que nombre de tuteurs refusent à leurs protégés de débloquer les
fonds pour un avocat et ce, même s'il y a de l'argent sur le compte
et cela me semble extrêmement grave.
Dans
certains dossiers (heureusement pas tous !) je rencontre des
entraves à l’exercice des droits de la défense, c’est un fait
et je le combats aussi.
Il
est demandé au professionnel de débloquer des fonds pour financer
une procédure qui tendra à pointer les dysfonctionnements et le
dessaisir ; nous sommes au cœur d’une opposition d’intérêts.
J’ai
rencontré toutes les formes de résistances pour tenter de m’inciter
à renoncer à défendre les intérêts d’un majeur protégé ;
le refus de payer les honoraires en fait partie (là également, dans
certaines procédures seulement).
_
Il y a bien sûr aussi la fameuse question de l'Aide judiciaire : vos
confrères ne m'ont pas caché qu'ils n'aiment pas travailler dans
ces conditions c'est à dire payés avec un lance-pierres ce que je
comprends parfaitement bien. , la question paraît insoluble , plus
de 80% des protégés étant aux minima sociaux.
Ces
dossiers sont extrêmement lourds et l’aide juridictionnelle ne
couvre pas les diligences accomplies, c’est un fait.
Souvent,
les proches sont disposés à financer la procédure.
Certains
en profitent pour contester la légitimité du mandat de l’avocat
en le suspectant d’intervenir pour défendre la famille et pas le
majeur protégé. C’est regrettable sachant que dans la majeure
partie des cas, la personne victime d’abus tutélaires n’est pas
en mesure de choisir et mandater elle-même un avocat. Elle ne peut
davantage en faire la demande au Juge des tutelles. C’est donc
insoluble et injuste ! Une personne détenue pour faits
délictueux ou criminels peut être défendue par un avocat choisi et
rémunéré par ses proches. Ce n’est pas le cas pour une personne
vulnérable qui se trouverait dans l’impossibilité d’exprimer
une volonté claire et précise.
_
J'ai cru constater et cela m'a été dit à de très nombreuses
reprises que les avocats n'aiment pas trop s'attaquer à l'UDAF …
Pour
ma part, je n’ai aucune difficulté de cette nature, je défends
les personnes vulnérables même si parfois, leur situation est
comparable à celle du pot de fer contre le pot de terre.
-
Après ces échanges j'ai eu l'impression que les avocats – en tout
cas ceux avec lesquels j'ai échangé _ n'avaient pas vraiment pris
la mesure de l'ampleur des dysfonctionnements et abus tutélaires. Je
pense que cela est dû au fait que beaucoup de protégés sont
incapables de contacter un avocat soit par manque d'argent soit parce
que le tuteur leur met des bâtons dans les roues.
Ce
n’est pas mon cas, quasiment tous les dossiers qui me sont confiés
s’inscrivent dans un contexte de suspicion d’abus tutélaire.
La
polyvalence accrue des juges et greffiers qui siègent tantôt au
pénal, tantôt devant d’autres juridictions civiles n’est pas de
nature à nous rassurer.
Les
dossiers tutélaires sont vraiment spécifiques et nécessitent un
suivi juridique accru ainsi qu’une formation particulière des
greffiers et magistrats.
Il
m’est arrivé ponctuellement d’attirer l’attention de certains
juges sur des points de la législation qui semblaient avoir été
omis.
En
présence d’une violation des droits fondamentaux du majeur
protégé, j’ai obtenu l’annulation de jugements, même plusieurs
années après leur prononcé.
_
Enfin vos confrères ont, tout comme vous, semblé regretter
l'opacité du système tutélaire ..
Je
partage ce constat spécifique au régime juridique des tutelles et
suis assez régulièrement
contactée par des confrères interloqués, sollicitant un avis, un
conseil...
D’autres
à qui je décris les difficultés rencontrées ont peine à croire
qu’il soit si difficile, dans ce domaine du droit en particulier,
d’exercer notre métier d’avocat
*******************
J’espère
avoir répondu à vos questions.
>